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Likez-vous les uns les autres (15/01/17)

Likez-vous les uns les autres

Liker (prononcer « laïquer ») de l’anglais « like » pour « aimer bien ». Ce petit symbole en forme de pouce levé en dit long sur les réseaux sociaux peuplés de milliards « d’amis ».

Dans leur Dico des mots qui n'existent pas et qu'on utilise quand même, les auteurs précisent que l’on peut « liker » pour plusieurs raisons : pour dire qu’on aime bien et ainsi marquer son approbation (ou sa désapprobation), pour soutenir une cause, pour se rappeler au bon souvenir, pour afficher sa compassion lorsqu’une mauvaise nouvelle est annoncée ou encore pour faire la promotion d’une marque ou d’une œuvre. Bref, le verbe « liker » fait partie de ces néologismes, pas encore référencés par l’Académie Française, qui permettent d’exprimer, en un seul mot et en un seul symbole, en l’occurrence celui du pouce levé, de multiples sentiments qui vont du hochement de tête approbateur façon « j’approuve » à l’engouement le plus sincère.

Ce verbe qui figurera peut-être un jour dans nos dictionnaires et qui, conjugué au subjonctif imparfait donnerait quelque chose comme « que tu me likasses », est désormais un signe connu de tous. Représenté le plus souvent sous la forme d’un pouce levé, voire d’un cœur, tous les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIN, Twitter, Yammer, Instagram…) ont adopté l’un ou l’autre de ces deux symboles pour inciter leurs « followers » à faire valoir leurs opinions immédiates. Le fait que ces dernières se matérialisent au moyen d’un pouce n’est pas innocent. Dans l’imaginaire collectif, il renvoi à des époques où un pouce levé, dans les arènes de Rome, signifiait la grâce accordée. A l’inverse, ce même pouce tourné vers le bas envoyant les valeureux gladiateurs vers une mort certaine. Plus tard, au Moyen-âge, ce symbole de pouce levé exprimant qu’une transaction commerciale venait d’être conclue et il fallu attendre le siècle dernier, du moins en Occident car dans d’autres parties du monde ce geste est vécu comme offensant, pour que ce pouce levé prenne le sens qu’on lui connait aujourd’hui : l’approbation tacite ou enjouée façon de dire « c’est bien ! », « j’approuve ! ».

Va-comme-j’te-pouce

On peut se demander si les utilisateurs des réseaux sociaux ne s’apparenteraient pas un peu aux gladiateurs de l’Empire Romain cherchant l’approbation de la foule pour rester en vie, numériquement s’entend. Parce que les réseaux sociaux sont ainsi faits qu’ils nécessitent des interactions permanentes entre leurs membres, quiconque utilise ces nouveaux outils numériques espère plus ou moins secrètement qu’il/elle sera «liké(e)». Sous des aspects badins, le « like », sorte de sourire et d’acquiescement, devenant un enjeu de reconnaissance numérique. Entre l’époque où un pouce levé signifiait la grâce et un « like » contemporain qui signifie que l’on aime quelque chose, ce symbole matérialise la preuve de son existence numérique ; en témoigne le nombre de « likes » et commentaires recueillis. Le philosophe Paul Ricœur et son concept d’identité narrative va dans ce sens d’existence numérique quand il précise qu’un : « sujet se reconnait à l’histoire qu’il raconte aux autres et se raconte à lui-même. Il est le lecteur et le scripteur de sa propre vie ».

Avec plusieurs milliards d’individus connectés aux réseaux sociaux (Facebook a lui seul cumule près de 1,8 milliard d’utilisateurs actifs mensuels), il arrive que ce symbole du pouce levé exprime bien plus qu’un simple « j’aime » neutre, poli, voire engagé. Quand, en septembre 2013, un bijoutier niçois fut arrêté par la police pour avoir abattu un braqueur de 19 ans, une page Facebook de soutien voyait le jour quelques heures après les faits en guise de soutien au commerçant. En un peu moins d’une semaine, la page accumulant 1,6 millions de « likes » interprétés alors comme un soutien au commerçant, sorte d’expression numérique de la loi du Talion. C’est justement pour nuancer ce genre de prise de position radicale que Mark Zuckerberg a longtemps tergiversé pour savoir si un bouton « Dislike » (« Je n’aime pas ») matérialisé par un symbole « pouce vers le bas » devait faire son apparition. Pour  le fondateur de Facebook, conscient que le bouton « Like » n’est pas adapté à toutes les situations, la recherche de nouvelles solutions passant par la mise à disposition des internautes une gamme de smileys exprimant des avis nuancés plus proches d’un  « je comprenez votre situation » ou « je compatis » plutôt qu’un « je n’aime pas », trop radical.

Les amis de mes amis

Facebook est un monde vieux comme le monde quand les hommes on décidé de vivre en communauté sauf que grâce aux nouvelles technologies il n’a jamais été aussi facile de se connecter les uns aux autres. Via les réseaux sociaux, l’émergence de nouveaux liens et « amitiés » est devenue chose évidente.  Un seul « like », un seul clic suffit à se retrouver au milieu de milliers de réseaux professionnels ou personnels et ainsi de voir son potentiel « d’amis » se démultiplier.

Mais ces « amis» en sont-ils vraiment ? Autrement dit, un " ami Facebook " peut-il réellement se prévaloir de cette qualité ? Si cette question est au moins aussi ancienne que les réseaux sociaux eux-mêmes, la Cour de cassation vient de trancher en rappelant dans un arrêt que " le terme d'«ami» employé pour désigner les personnes qui acceptent d'entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d'amitié au sens traditionnel du terme ". En clair, ce n’est pas parce que l’on aura cliqué sur le bouton « like », « J’aime » ou « Accepter l’invitation de cet ami » que l’on pourra en déduire un lien de proximité entre deux personnes. En extrapolant, ni Montaigne ni Antoine de la Boétie n’auraient démenti cette décision de justice, eux pour qui l’amitié véridique s’était manifesté sous la forme d’un véritable coup de foudre et non un simple « like » de circonstance. Suggérons à Facebook et à Twitter qu’ils retiennent la maxime «Parce que c’était lui, parce que c’était moi » pour leur nouveau slogan commercial. C’est sûr, je « likerai » !