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Big data contre chômage (La Tribune - 10/02/16)
Avec près de 3,6 millions de demandeurs d’emploi, toutes les idées pour faire baisser le chômage sont à tester. Dans un marché du travail qui se fragmente, les technologies permettaient-elles de faire mentir la prophétie, "Contre le chômage, tout a été essayé" ?

Si cela fait plus de deux décennies que nous sommes immergés dans le monde numérique, nous commençons à peine à découvrir l’incroyable potentiel de ce « nouvel or noir » que l’on nomme par data (les données). Après l’ère du web et des applications mobiles, nous vivons dans l’ère du Big Data ; entendu comme la capacité à extraire et à traiter une masse phénoménale d’informations grâce aux nouvelles générations d’algorithmes eux-mêmes rendus possibles par la puissance croissante des machines. Médecine, ville intelligente, émergences de tendances politiques, lutte contre le terrorisme… rien n’échappe à ces mégadonnées qui font émerger de nouvelles capacités d’analyse et permettent d’inventer des solutions inattendues face à des problèmes que l’on pensait insolubles. Depuis plus de 50 ans, le chômage en est un. Grâce au numérique et au Big Data, il pourrait être jugulé, et rêvons un peu, résolu.

Faire émerger un marché du travail qui s’ignore
Depuis quelques années, le marché du recrutement n’en finit pas d’être bousculé par le numérique. Les nombreux sites communautaires (LinkedIn, Keljob, Jobijoba, Leboncoin…) obligeant les acteurs traditionnels à se réinventer face à ces cyber-recruteurs. Avec le Big Data, ce sont non seulement les techniques de recrutement qui changent mais également la capacité, grâce aux mathématiques, d’inverser la courbe du chômage. C’est tout le projet de Paul Duan, 23 ans, originaire de Trappes, jeune entrepreneur installé dans la Silicon Valley. Son idée ? Utiliser les algorithmes pour réduire le chômage en France. A la tête de Bayes Impact , ONG à but non lucratif, son projet pour résoudre le chômage est une plateforme web qui répond au nom de code « my game plan », que l’on peut traduire par « mon plan d’attaque ». En se basant sur les données du marché du travail (les emplois vacants, les informations sur les métiers d’avenir ou en tension, les compétences requises, les zones géographiques qui embauchent…) ainsi que sur la base de données anonymisées de Pôle emploi, il s’agit de proposer une application qui permettra de guider le demandeur d'emploi de manière plus personnalisée dans ses démarches. Via une interface intuitive et simple, la personne répond à une série de questions qui permet à l’outil de calcul du logiciel d’analyser son profil, agréger un grand nombre de données en temps réel et ainsi lui proposer des offres d'emplois ainsi que des propositions de formations plus adaptées à ses compétences et à ses souhaits d’évolutions. Encensée par les pouvoirs publics, la toute jeune organisation a signé un partenariat avec Pôle Emploi pour un déploiement de sa plateforme open-source d'ici la fin de cette année. En ayant recours au Big Data, il s’agira donc de changer d’échelle en croisant un flot incessant de données censées fluidifier le marché du travail et faire confiance à la machine; bref, faire le pari que la science des données prévaudra sur l'instinct .

Quel futur pour le travail ?
Se contenter d’observer que le marché du recrutement n’en finit pas d’être bousculé par le numérique c’est oublier que c’est l’emploi dans toutes ses dimensions qui est secoué par cette tornade technologique. Pour son premier rapport consacré au « Futur des emplois », le Forum de Davos a mis en avant le chiffre de 5 millions d’emplois supprimés dans les 15 principales puissances économiques mondiales d’ici à 2020. A l’inverse, 2 millions de nouveaux emplois seraient créés en 5 ans ; essentiellement dans le sillage des nouvelles technologies. L’enjeu majeur de notre siècle sera, à n’en pas douter, l’adaptation des travailleurs à cette révolution numérique qui prend des forme multiples : robotique, intelligence artificielle, machine learning (algorithmes capables de s’améliorer en permanence sans intervention humaine)… Au-delà de ces ruptures qui feront que, pour tel ou tel type d’emploi, l’on pourra se passer de travailleurs , parions que la tendance la plus profonde portera sur le changement de nature du travail lui-même. Pour un grand nombre de métiers, il est désormais possible de travailler en choisissant ses lieux (n’importe où, y compris les nouveaux tiers lieux de coworking et autres fablabs qui éclosent dans les grandes villes), ses moments (n’importe quand) et ses relations (seul ou en communautés). On le voit, le travail évolue, change et se fragmente en une multitude de travailleurs indépendants qui peuvent passer d’un emploi à un autre (« slashers ») et qui collaborent par le biais de plateformes numériques ; sorte de disruption généralisée du monde du travail.

Reste que les Etats devront s’adapter à ce nouveau monde de l’emploi dans lequel il faudra de plus en plus apprendre à travailler avec ces nouvelles technologies pour éviter que notre société ne ressemble au monde présenté dans Trepalium, nouvelle série d’Arte diffusée le 11 février prochain, dans lequel 20% de la population ont un travail alors que 80% en sont dépourvus.

 Twitter : @Boyer_Ph
 
Liens utiles
http://www.bayesimpact.org/
https://hbr.org/2014/05/in-hiring-algorithms-beat-instinct
http://www.weforum.org/reports/the-future-of-jobs
http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf