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Mobilisation générale autour de l’IA (02/04/17)

Mobilisation générale autour de l’IA (02/04/17)

L’essor de l’intelligence artificielle (IA) représente un bouleversement de nature à transformer profondément nos sociétés et nos économies. La riposte des Etats s’organise.

En matière d’Intelligence Artificielle (IA), les semaines se suivent et se ressemblent. Presque toutes apportent leurs lots de rapports, d’analyses et de conjectures qui, invariablement, produisent interrogations, stupeurs et tremblements pour savoir si d’ici à 2030, 2040, voire 2050, une IA pourrait devenir réflexive, c'est-à-dire se penser sur elle-même et ainsi devenir conscience. Si nous nous étions habitués à l’idée qu’un jour cette technologie, vieille tout de même de plus de 60 ans, puisse prendre le dessus sur l’Homme, c’est que nous avions accepté d’être les spectateurs passifs et amusés de quelques films cultes de science-fiction - Matrix, Blade Runner,  Minority Report ou récemment Ghost in the Shell – dans lesquels une machine centrale contrôle des humains ; ces derniers s’imaginant libres, mais en réalité n’étant que des automates mus par une intelligence artificielle. Loin de ces scénarios hollywoodiens, la question de la présence croissante des IA dans nos vies vient de faire l’objet de deux rapports officiels aussi bien destinés à dénoncer les craintes plus ou moins rationnelles liées à cette technologie que de préparer notre pays à devenir une référence en la matière. Dans les deux cas, la question n’est plus d’être pour ou contre l’IA car celle-ci fait déjà partie de nos vies, omniprésente via les outils numériques que nous proposent les géants technologiques américains ou chinois. Pour tous les grands Etats, et en témoigne le nombre croissant de rapports publics sur ce sujet : aux Etats-Unis, en Angleterre, au Japon ou encore à l’échelle européenne, l’IA est devenue une arme d’influence économique et politique.

Grande cause nationale

Il faut se référer au premier de ces deux rapports, « France Intelligence Artificielle », celui sur les IA dites « faibles », en tant que simples systèmes d’assistance, pour comprendre qu’un plan de bataille s’impose pour faire de ce sujet une cause nationale organisée autour de la recherche fondamentale, du transfert de technologie et des applications industrielles. Pour les 559 co-auteurs de ce rapport, et en auscultant les secteurs de la relation client, de la finance, du véhicule autonome, de l’éducation numérique, de la santé… la France a une évidente carte à jouer compte tenu de son tissu de start-up spécialisées et ses scientifiques de haut niveau. Pour peser sur ce marché de l’IA qui ouvre sur des perspectives dont on ne perçoit pas encore les limites (le marché de l’IA pour les seules applications en entreprises est estimé à plus de 36 milliards de dollars d’ici à 2025 contre 643 millions en 2016), encore faut-il que toutes les forces soient rassemblées et que l’action de tous les acteurs qui développent des solutions d’IA ; qu’ils soient publics comme privés, soit mieux coordonnée. Là réside la fragilité de notre « écosystème IA », dépendant d’une recherche trop liée aux fonds publics et à un foisonnement de thématiques portées par des communautés sans liens forts les unes par rapport aux autres  Bref, un plan stratégique certes volontariste pour faire de la France un leader européen en matière d’IA, à condition que ces bonnes intentions sur un sujet stratégique ne soient pas remisées aux oubliettes à la faveur des échéances électorales…

Le deuxième rapport, intitulé « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée », se focalise  sur les impacts sociaux de l’IA. L’objectif de ce volumineux document rédigé par les Sénateurs Claude de Ganay et Dominique Gillot étant de forcer « les pouvoirs publics à proposer un point d’équilibre qui devra toujours être remis en débat à proportion des découvertes scientifiques, de leurs transferts et de leurs usages ». Pour les auteurs,  il est urgent d’ouvrir un débat public, « qui ne peut s’engager sereinement dans l’ignorance des technologies mises en œuvre, des méthodes scientifiques et des principes de l’intelligence artificielle ». A côté des enjeux économiques et sociaux, le rapport se prononce pour une IA maîtrisée, utile et démystifiée : maîtrisée, parce que ces technologies devront être plus sûres, plus transparentes et plus justes; utile parce qu’elles doivent, dans le respect des valeurs humanistes, profiter à tous au terme d’un large débat public et démystifiée, parce que les difficultés d’acceptabilité sociale de l’intelligence artificielle résultent largement de visions catastrophistes sans fondement. Dans un bel élan optimiste, les auteurs appelant de leurs vœux non pas une intelligence artificielle qui viendrait concurrencer l’homme mais une intelligence humaine augmentée qui trouverait en la machine un renfort technologique plutôt qu’un objet de confrontation

Intelligence artificielle, bêtise humaine

Une bien curieuse semaine puisqu’à côté de la sortie de ces deux rapports tentant d’organiser une riposte d’Etat face au tsunami de l’IA, Elon Musk, génial entrepreneur de la Silicon Valley, fondateur de Tesla, Space X… annonça avoir lancé son nouveau projet, « Euralink », pour concevoir des implants cérébraux permettant à l'homme de communiquer directement avec un ordinateur, sans contact tactile ou vocal. Le même Elon Musk, déclarant, il y a un plus d’une année : « que la plus grande menace pour notre existence est l’intelligence artificielle… car avec elle, nous invoquons un démon ». Décidément, et à la différence des machines, nous autres humains ne sommes pas à une contradiction près quand il s’agit d’inventer de nouveaux pouvoirs transhumains. Comme l’écrit le philosophe Edgar Morin, nous devons veiller à ce que cette métamorphose de l’Homme ne se transforme «en un règne d’une nouvelle espèce de seigneurs, disposant de tous les pouvoirs dont ceux de la prolongation de la vie sur l’ensemble des autres êtres humains asservis.»