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Lost in connexion (18/12/16)

Lost in connexion (18/12/16)

Connectés, partout et tout le temps. Face à cet état numérique omniprésent, de nouvelles tendances de fond apparaissent pour reprendre le contrôle de son temps et de sa vie.

Il est un rêve à la portée de tous et pourtant si difficile à réaliser : décider de se déconnecter pour mieux se concentrer, se ressourcer ou tout simplement mieux faire son travail. Alors qu’un salarié sur trois souffre de stress numérique[1], l’hyperconnexion guette. Il n’y a qu’à voir l’avalanche d’emails qui envahit les entreprises pour réaliser que ce flot de messages ne va pas dans le sens d’une meilleure efficacité professionnelle. Pire. Les messages mails qui envahissent nos boîtes de réception, consultables à tout instant et en tous lieux du fait de la porosité croissante entre vie personnelle et activités professionnelle, nuiraient à la créativité et à la qualité du travail réalisé (en moyenne, un cadre reçoit environ 50 mails par jour, vérifient leurs messageries toutes les 5 minutes et près de 80% avouent consulter leurs boîtes de réception avant de dormir[2]). C’est pour lutter contre cette infobésité générateur de tensions que certaines entreprises ont décidé de prendre des mesures concrètes : journées sans email, formations pour apprendre à ne pas se laisser noyer sous les messages ou réapprendre à se concentrer. Bref, tout un arsenal de mesures pour dompter ces outils numériques et reprendre enfin le pouvoir sur les machines. 

Pas si éloignés des cas d’addictions connus (alcool, tabac, drogue…), le numérique peut aussi faire perdre pied avec la réalité. Il y a quelques années, des chercheurs de Harvard ayant conclu que Facebook et Twitter pouvaient se révéler aussi addictifs que l'alcool et la nicotine du fait que ce goût récurrent pour la narration et la mise en scène personnelle activaient des neurones situés à l'intérieur de la zone corticale prosencéphalique responsables du sentiment de récompense, de plaisir et d'accoutumance. D’ici à conclure que « liker » ou « twitter » ne seraient en fait que l’expression d’un profond besoin de reconnaissance couplé à des pulsions psychiques basiques, la tentation est grande d’imaginer la psychanalyse se saisir de nos comportements numérique pour explorer notre santé mentale…

Addictions au mobile

C’est en lien avec cette dernière que le Human Computer Interaction Institute de la Carnegie Mellon University a récemment démontré que la connexion permanente au réseau social Facebook n’était pas sans incidence sur l’état psychologique des personnes[3]. En clair, les chercheurs prouvant que la consommation passive du flux de nouvelles de ses « amis » pouvait être à l’origine d’états dépressifs se manifestant par des états d’envie et de frustration. L’ensemble de ces pathologies « 2.0 » ont déjà été répertoriées. Qu’elles se nomment «FOMO » (Fear Of Missing Out), pour désigner la peur de passer à côté d’un appel ou d’un message, ou « Nomophobie » quand une personne est littéralement prise de panique à l’idée d’avoir oublié ou perdu son téléphone, elles attestent toutes qu’il existe une forme « d’errance cérébrale », pour reprendre les termes du journaliste Pierre-Olivier Labbé qui, pour Canal+, a accepté de surmonter son addiction à son smartphone en passant 3 mois sans aucune forme de connexion[4]. En France, à en croire les résultats d’un sondage publié en 2013, 78% des moins de 25 ans se considèrent « nomophobes » c'est-à-dire accros à leur téléphone mobile[5]. Quand cette obsession du téléphone à portée de main devient maladive, il en va aussi de l’intégrité physique des personnes comme en témoigne le nombre croissant d’accidents mortels dus à des selfies[6] ou à des rues traversées sans avoir pris soin de vérifier si la route était dégagée.

Sevrage numérique

Le sevrage numérique, autre appellation pour « digital detox »[7], gagne du terrain. Dans les entreprises (Le droit à la déconnexion fait son entrée dans le code du travail[8]), dans les villes (à Taïwan, en 2014, une proposition de loi prévoyait que traverser la rue en consultant son téléphone portable serait passible d'une amende d’environ 7 euros[9]), dans le secteur du tourisme (des hôtels proposent des cures de digital detox[10]) ou encore les séminaires pour cadres stressés[11], l’heure est à la lutte contre le « phubbing » (contraction de l’expression « phone smubbing » qui désigne le fait d’être si absorbé par la consultation de ses SMS et emails qu’on en oublie les personnes autour de soi) ou au « phone stacking » (accord passé entre collègues pour se passer des téléphones portables, le temps d’une réunion, en les empilant au milieu de la table pour dissuader chacun de consulter son appareil). Cette tendance s’amplifie au point que les marques en font un argument commercial : Kit Kat et ses espaces « no-Wifi » à Amsterdam, zones de détente et de conversation dans lesquelles les signaux téléphoniques ne passent pas, le brasseur Amstel[12] et ses soirées « no-smartphones » via la mise en place de petits casiers servant à ranger les téléphones. La clé du casier, justifiant que l’appareil est en lieu sûr, devant être donnée au barman pour bénéficier d’une bière offerte. Même Apple y va de son éloge de la déconnexion en informant ses clients qu’ils peuvent programmer sur leurs iPhone des périodes « off »[13] ; façon pour la technologie de se réapproprier la phrase de Sacha Guitry : « Il y a des gens qui augmentent votre solitude en venant la troubler ».

Pas de doute : dans les années à venir, la déconnexion devrait s'imposer comme un sujet majeur car, et au fur et à mesure que les technologies progresseront, les limites de la connexion seront sans cesse repoussées. Si dans le monde du travail, ce sera sans doute le critère « temps de connexion/déconnexion » qui deviendra la référence, nos vies numériques deviendront quant à elles de plus en plus connectées et nos corps des prolongements  du réseau internet. C’est la thèse du neuroscientifique David Eagleman qui, dans son ouvrage « The Brain : The Story of You »[14], anticipe qu’il pourrait être possible d'afficher notre flux de conscience sur internet et ainsi de devenir des êtres en permanence connectés ; bref, de se retrouver totalement « lost in connexion » pour de bon.

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