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La smart city côté champs / Opinion Internationale (08/12/15)

A l’occasion de la COP21, une chronique sur les nouvelles idées d'agriculture urbaine. Ce sujet est d'actualité quand on sait qu'en 2050, 80% de la population mondiale résidera en ville.

En 2050, 80% de la population mondiale  résidera en ville. D’ici là, son nombre aura augmenté de 3 milliards,  portant à 9 milliards le nombre total de bouches à nourrir. Il faudra  mettre en culture pas loin de 10 milliards d’hectares de terres  nouvelles pour répondre aux besoins mondiaux en nourriture. Alors
qu’aujourd’hui 80% de la surface utilisable est déjà mise à  contribution, se pose la question de la campagne à la ville.


La campagne à la ville


A New-York, Montréal, Amsterdam ou  Singapour… une nouvelle forme d’agriculture urbaine cherche sa place  dans les grandes villes. L’idée de ces fermes ou vergers urbains n’est  pas de remplacer l’agriculture traditionnelle mais de jouer un rôle  complémentaire pour nourrir les villes tout en participant à  l’élaboration d’un nouveau mode de vie urbain. L’agriculture sur les  toits  (« roof-top agriculture ») est une réponse au phénomène  de déséquilibre alimentaire qui a pour conséquence que tant de
personnes, en particuliers dans les villes, ne mangent pas à leur faim.  L’idée étant de ramener l’agriculture à l’intérieur de la ville en  créant de nouveaux lieux de production au plus près des consommateurs.


A Montréal, les fermes Lufa se sont installées sur le toit d’immeubles de bureaux. Avec pour slogan « Notre vision est celle d’une ville remplie de fermes sur les toits. Nous  cultivons les aliments là où les gens vivent et le faisons durablement», cette société a changé la façon dont les habitants de cette ville
s’alimentent grâce aux légumes qui poussent à moins de dix kilomètres de leurs lieux de consommation ; réduisant au passage la densité de gaz  carbonique générés par les camions de livraisons. Chaque semaine, Lufa  commercialise 3000 paniers auprès d’une cinquantaine de points de vente  répartis dans la ville. Dans d’autres grandes villes du monde, les  producteurs s’organisent pour faire pousser localement fruits et légumes qui seront vendus dans un périmètre inférieur à 10 kilomètres du lieu  de production.


Dans la seule ville de New York, on estime que l’agriculture sur les toits représenterait un potentiel de 12 millions de m². C’est à  Brooklyn que l’on trouve le plus grand potager urbain de la planète avec deux immenses fermes suspendues : Gotham Greens, ferme urbaine de 1400  m² de serres alimentées en énergie solaire dans laquelle poussent  légumes et fruits cultivés hors sol et Brooklyn Grange, 6000 m² sur les  toits de bâtiments industriels de ce faubourg de New-York. Pratiquant la culture organique en pleine terre, cette ferme génère un rendement de  18 tonnes annuelles, qui font de la Brooklyn Grange l’un des plus grands potagers suspendu au monde grâce à la production d’une quarantaine de  variétés de fruits et légumes, tous vendus sur les marchés locaux et  auprès des restaurants de la ville. L’enjeu est aujourd’hui de  considérer l’agriculture urbaine non pas comme un simple supplément  esthétique ou une activité marginale pour quelques habitants en mal de  verdure, mais comme un véritable projet de ville, avec une logique de  filière économique qui reste à développer.


Cultiver sur les toits ne suffira pas

Les adeptes d’une  ville verte nous promettent une ville durable et conviviale à peu de  frais. Pourtant, cultiver sur les toits ne pourra pas intégralement  répondre aux énormes exigences alimentaires des villes de demain. Pour  se hisser à la hauteur de ce défi, seules des fermes verticales seraient à même de proposer le développement d’une agriculture urbaine à grande  échelle permettant de nourrir les 7 milliards de citadins à l’horizon  2050. L’idée de construire ces fermes verticales revient à un  universitaire au nom prédestiné : Dickson Despommier, microbiologiste à la Columbia University de New York. A quoi pourrait ressembler une  ferme verticale ?

Plusieurs architectes se sont essayés à représenter ces futurs  bâtiments parmi lesquels Chris Jacobs et Blake Kurase : des tours de 200 mètres de haut sur plus de 40 étages qui permettront d’atteindre des
rendements 4 à 5 fois supérieurs au rendement moyen de l’agriculture  horizontale actuelle. Des capteurs situés dans le plafond de chaque  étage pourraient même recueillir l’humidité des plantes pour produire de l’eau pure. Quant aux sous-sols, ils hébergeront des installations de  traitement des eaux usées incluant un dispositif de méthanisation ; la  récupération du CO² servant comme « engrais gazeux » pour les plantes.


A Singapour, de nombreux projets  agricoles innovants sont apparus au cours des dernières années. Pour  nourrir les 5 millions d’habitants de cette ville-Etat, à peine 2% du  sol de cette île-Etat sont actuellement consacrés à l’agriculture. De ce fait, c’est presque l’intégralité des produits alimentaires qui sont  importés en provenance d’une trentaine de pays.  C’est pour tenter de remédier à ce déséquilibre de production alimentaire que des fermes  verticales ont été installées en haut d’immeubles de bureaux et  d’habitation. « SkyGreen » fait figure de pionnière : avec son système  “A-Go-Gro”, cette société s’est fait une renommée en faisant pousser des légumes en hauteur. Reposant sur un ingénieux mécanisme de poulies, des bacs contenant les plants n’en finissent pas de monter et de  redescendre afin de permettre à ces jeunes pousses de capter toute la  lumière puis de se nourrir en nutriments une fois descendues à hauteur  des réservoirs positionnés en bas de cet échafaudage mobile.



Les nouveaux « ageekculteurs »

Ailleurs, où l’ensoleillement est faible, ces fermes verticales ont certes l’avantage d’être innovante
mais présentent l’inconvénient de se transformer en bâtiments  énergivores. Pour contourner cette contrainte qui ne va évidemment pas  dans le sens d’une ville que l’on voudrait plus frugale en énergie, la  réponse technologique repose sur la généralisation des diodes électroluminescentes aussi connue sous le terme de « LED »  (Light-Emitting Diode). Ces lumières artificielles pourraient être la  solution pour la construction de ces futures tours agricoles car à la  différence des lampes traditionnelles, elles permettent de simuler assez finement le rythme des saisons en faisant varier quantité et couleur de la lumière.

La ville bio et verte

Chaque jour, de nouvelles découvertes  démontrent que l’agriculture intensive n’est plus la panacée et qu’il  faut, à un moment où les rendements s’épuisent, en raison notamment du  réchauffement climatique, passer à un autre modèle. Que l’on appelle  cela « agriculture raisonnée » ou « maitrisée », les villes ont une  carte à jouer en faveur de ces futurs besoins alimentaires et de la  lutte contre le réchauffement climatique. Si l’agriculture réussit son  mariage avec la ville, toutes deux en tireront bénéfice tant pour  faciliter les approvisionnements logistiques que pour influer sur le  climat. C’est cette « ville en bio », durable et innovante qui permettra peut être à l’humanité de se réconcilier avec la nature ; à moins que  cela ne soit l’inverse…